Reprise de Bergère de France en SCOP : quand les salariés tissent l’avenir de leur entreprise
Pour parler de cette reprise, nous avons rencontré trois de ses acteur·trice·s clés, très impliqué·e·s dans cette transformation : Corinne Bauvin, responsable pôle création et achats, Valentine Fanjeaux, responsable de production et présidente du conseil d’administration, et David Soldi, responsable du pôle image & digital. Ensemble, ils nous racontent leur démarche collective pour sauver ce fleuron de l’industrie locale.
Octobre 2024. Bergère de France, la dernière filature industrielle française à produire de la laine à tricoter, est sauvée par ses salariés à travers une reprise en SCOP (Société Coopérative de Production). Ce choix stratégique a permis à l’entreprise meusienne, en redressement judiciaire depuis 2015, de continuer à faire vivre un savoir-faire unique, tout en redéfinissant son modèle économique et sa structure.
Fondée en 1946 à Bar-le-Duc, Bergère de France est restée une entreprise familiale durant plusieurs générations. Mais au fil des années, les difficultés financières se sont accumulées. En 2015, un plan de sauvegarde est mis en place pour tenter de redresser l’entreprise. L’entreprise compte alors 150 salariés et son activité est principalement orientée vers le marché français. Mais les dettes sont tenaces, Bergère de France est de plus en plus menacée.
Une responsabilité collective
Bien plus qu’une solution économique, se transformer en SCOP était un choix de survie, pour préserver une marque emblématique du secteur textile en général, mais aussi de l’identité même de Bar-le-Duc et de son territoire.
« Bergère de France ne pouvait tout simplement pas disparaître », déclare Corinne Bauvin, responsable création et collection. « Notre savoir-faire et nos produits avaient sans conteste leur place sur le marché. Si l’entreprise avait fermé, cela aurait créé un vide immense pour la région », ajoute-t-elle.
Pour Valentine Fanjeaux, responsable de la production et présidente du Conseil d’administration de la nouvelle SCOP, ce fut un moment de prise de responsabilité collective. « Ensemble, nous avons pris conscience que nous pouvions redonner vie à cette entreprise », explique-t-elle. « Et puis, tout simplement, on avait envie de continuer à travailler ensemble », ajoute David.
56 salariés se sont ainsi associés pour prendre part à la gestion de l’entreprise, avec un objectif clair et commun : préserver l’emploi et le savoir-faire.

Une réorganisation stratégique
Une analyse économique rigoureuse a néanmoins déterminé que pour réussir la transition, il fallait réduire les effectifs. « Nous avons dû évaluer nos capacités de production et déterminer combien de personnes seraient nécessaires pour redémarrer efficacement », explique Valentine.
Diminuer le nombre de références, concentrer les zones de production pour consommer moins d’énergie : les solutions sont mises sur la table et appliquées. Un travail de réorganisation essentiel pour réduire la pression financière, tout en conservant une activité viable.
« L’un des défis majeurs a en effet été de maintenir la production tout en réduisant les coûts », explique Corinne. « Nous avons rationalisé notre outil de production. »
Au final, si l’effectif est aujourd’hui réduit, il est plus impliqué et motivé que jamais, grâce à une vision commune.
Les défis de la transition
Comme toute transformation d’envergure, des défis considérables ont marqué cette reprise en SCOP. La gestion des stocks, notamment, s’est avérée un véritable casse-tête. « Quand une société est en difficulté financière, il est difficile de maintenir les stocks à un niveau suffisant pour la production » explique Corinne. « Nous avons dû racheter du stock pour relancer la production ».
L’anticipation de cette transition a également été une grosse source de stress. « Nous savions qu’il y avait une date limite, mais il fallait attendre le dernier moment pour mettre en place les passations », confie David. Ce manque de visibilité sur l’avenir a créé une incertitude pesante pour les équipes.
C’est en se serrant les coudes, grâce à leur engagement collectif, qu’ils ont pu surmonter ces obstacles.
Diversification et pérennisation
Depuis la reprise, l’entreprise a pris un tournant créatif important. Corinne le souligne : « Avant, nous étions dans un processus où la production était figée, avec des catalogues qui sortent à des moments précis. Maintenant, nous avons la liberté de créer de nouvelles collections et de nous diversifier. »
Cette dynamique se manifeste notamment par la sortie de nouvelles gammes de produits, la mise en ligne de kits créatifs et une volonté d’innovation continue pour dynamiser l’offre.
La reprise en SCOP a également permis une meilleure synergie entre les différents services. David précise que la fusion des départements a permis une plus grande réactivité et cohérence dans la stratégie de communication. « Avant, il y avait une grande séparation entre le digital et le marketing. Aujourd’hui, nous avons une meilleure fluidité pour la mise en place des campagnes et des promotions. »
Bergère de France, après ces premiers mois de transition, commence à se projeter vers l’avenir. « Nous avons encore beaucoup de travail pour pérenniser l’entreprise, mais la SCOP nous offre une grande liberté pour investir et nous développer », conclut Valentine.
Les projets à venir incluent l’extension des gammes de produits, la diversification des canaux de distribution, et un investissement dans la production pour renforcer la compétitivité.
Pour une reprise réussie
L’engagement et la solidarité ont été moteurs pour la réussite de cette transformation. À ceux qui envisageraient une reprise en SCOP, Corinne, Valentine et David conseillent des actions concrètes et essentielles pour garantir le succès de la démarche.
Valentine insiste sur l’importance de disposer d’un business plan solide. « Il faut bien définir les priorités et les objectifs pour éviter de se retrouver dans l’incertitude », précise-t-elle.
David, de son côté, souligne qu’il est vital de ne pas être tout seul et d’avoir un collectif solide à l’intérieur de l’entreprise. Mais il ajoute également qu’il est essentiel de s’entourer de partenaires extérieurs pour compléter les compétences et garantir la pérennité du projet. « Un projet de reprise doit être porté collectivement, mais il faut aussi pouvoir compter sur des soutiens extérieurs pour avoir toutes les cartes en main. »
Enfin, Corinne rappelle que la reprise en SCOP, bien que complexe, nécessite avant tout de la motivation et de la ténacité. « Il faut se lancer et ne pas hésiter à se battre pour faire réussir cette transformation. » Selon elle, ces qualités sont indispensables pour faire face aux défis qui ne manqueront pas d’apparaître.
Au final, la reprise de Bergère de France en SCOP est bien davantage qu’une histoire de redressement économique. C’est une aventure humaine qui, en redonnant une nouvelle vie à une entreprise historique, démontre à quel point la transmission et la reprise d’une entreprise peuvent la renforcer et la relancer. Même lorsque la situation parait délicate.
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